Sébastien Boussois : L’Azerbaïdjan toujours en quête d’une résolution pacifique du conflit
Un groupe de représentants des médias français a effectué un voyage en Azerbaïdjan.
Le portail « cnpnews » a publié le 10 octobre un article intitulé « Occupation du Haut-Karabagh : l’Azerbaïdjan toujours en quête d’une résolution pacifique du conflit » de Sébastien Boussois, chercheur en sciences politiques associé à l’ULB (Université Libre de Bruxelles) et à l’UQAM (Montréal), consacré aux résultats de ce voyage.
Vous retrouverez l’article dans son intégralité ci-dessous :
« Occupation du Haut-Karabagh : l’Azerbaïdjan toujours en quête d’une résolution pacifique du conflit
Le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan qui dure depuis 25 ans au Haut-Karabagh a-t-il des risques de dégénérer dans les mois à venir ? La question est entière. Aujourd’hui, l’Azerbaïdjan a tout pour lui dans la situation pourtant inextricable qu’il vit dans les terres du Haut-Karabakh et ses régions avoisinantes dont il a été violemment dépossédé par l’Arménie à l’issue de trois ans de violence jusqu’en 1994 : le droit international, le refus de l’ensemble des pays du monde de reconnaître cette république autonome, les richesses de l’Azerbaïdjan devenu puissance depuis, son intégration régionale et sa stabilité entre de puissants voisins, sa diplomatie conciliante avec les pays forts de la région, sa volonté de trouver une issue avant tout pacifique à la crise qui dure face au fer d’Erevan.
La bataille diplomatique fait rage depuis des décennies, et la propagande de la diaspora arménienne a longtemps fonctionné. Aujourd’hui, il semble que les choses soient en train de changer petit à petit. L’opinion semble enfin entendre la voix de Bakou. Parce que le pays ne fait pas d’effets de manches ou de démonstration de force et demande avant tout une chose légitime et qu’on ne saurait lui reprocher : le respect du droit international. En effet, les bases fondamentales pour le règlement du conflit entre ces deux pays ont été définies depuis 1993 dans plusieurs résolutions des Nations unies, demandant toutes le retrait complet immédiat et sans conditions des troupes arméniennes des territoires occupés du Haut-Karabakh au profit de l’Azerbaïdjan. Ces résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies sont les n° 822 (1993), 853 (1993), 874 (1993) et 884 (1993) et la résolution n° 62/243 (2008) de l’Assemblée générale de l’ONU. Ce conflit a coûté déjà près de 800 milliards de manats, soit environ 400 milliards d’euros au pays, selon l’équipe du Procureur Militaire du pays Khanlar Valiyev.
Mais les choses seraient probablement plus simples en terme de rapports de force, si le géant russe n’apportait pas son puissant soutien tacite à l’ennemi juré. Au conseil de Sécurité, le puissant veto russe continue à faire la pluie et le beau temps face à ses voisins. Car si certains va-t’en-guerre suggèrent à l’Azerbaïdjan, de récupérer ses terres par la voie militaire, après l’escalade de ces derniers mois, Bakou n’est pas naïf et ne craint qu’une chose s’il décidait de le faire : la réaction imprévisible de Moscou. Le puissant voisin et plus grand pays du monde n’a jamais digéré l’indépendance de l’un de ses plus riches ex-satellites. La France, par ses relations historiques avec le pays, comme le déclara François Hollande à l’inauguration du Lycée français de Bakou en 2014, a probablement un rôle à jouer. C’était d’ailleurs Nicolas Sarkozy qui était venu poser la première pierre de l’établissement en 2009.
Retour sur l’Histoire du « Jardin noir », traumatisme pour la nation azerbaïdjanaise
« Jardin Noir ; grand jardin ; jardin pittoresque » en azerbaïdjanais. Le Karabakh est l’une des régions ancestrales du pays. Mais les luttes d’influence, le poids de ses voisins, font du Karabakh, depuis le XIe siècle et la constitution de la nation azerbaïdjanaise, un enjeu de pouvoir et d’influence. L’influence multiculturelle du christianisme et de l’islam mais également des Zoroastriens adeptes du culte du feu, déchira le territoire. Depuis le XVe siècle, l’Empire russe, pour gagner de l’influence, utilisa la religion dans son intérêt. L’Eglise arménienne prit de l’importance à partir de 1441, après que la dynastie azerbaïdjanaise Garagoyounlu, autorisa le siège du patriarcat arménien à s’installer près de l’actuelle Erevan. Avec l’émergence de l’empire Ottoman, les rivalités s’accrurent entre la « Grande Porte » contrôlant les provinces d’Azerbaïdjan, l’Iran, contre la Russie flanquée de son allié arménien. Moscou avait un intérêt majeur à soutenir la population chrétienne à ses frontières face aux khanats azerbaïdjanais qui continuaient d’essayer d’être indépendants. La politique d’arménisation joua à plein dans le Karabakh. Quand l’URSS s’effondre en 1990, Erevan en profite pour réaliser son grand rêve de grande Arménie et se lance dans la conquête du Haut Karabakh après que le Soviet suprême d’Arménie ait voté une résolution sur l’unification de cette région à l’Arménie. Entre 1988 et 1994, les pires atrocités sont commises par le pouvoir arménien. Le pays tout entier se souvient du massacre de Khodjaly le 26 février 1992 avec plus de 600 morts. Après le cessez-le-feu du 12 mai 1994, l’heure est au bilan : l’Arménie est toujours là, l’Azerbaïdjan est ruiné, des dizaines de milliers de morts de part et d’autre (entre 30 000 et 60 000), et plus de 789 000 IDP (Internaly Displaced People) soit 1 Azerbaïdjanais sur 8. Le conflit du Haut-Karabakh a été parmi l’un des plus meurtriers de l’immédiat après-effondrement du bloc soviétique avec l’ex-Yougoslavie.
Pourquoi l’Arménie s’est-elle engagée dans cette guerre ? Certains pourraient cibler les résultats de l’effondrement de l’URSS comme accélérateur de particules patriotiques dans le déclenchement du conflit. D’autres l’agressivité historique de l’Arménie qui appelle a droit à l’autodétermination des peuples pour le Haut-Karabakh séparatiste, et pour ce faire est prête à provoquer ce que Bakou qualifiera de génocide de violents massacres comme à Khodjaly. Une Arménie dont le président Serge Sargsian lui-même est né dans le Karabakh. La réalité est plus complexe : le Caucase est une région stratégique et les alliances sont fondamentales. Lorsque l’Arménie décide d’envahir le Haut-Karabakh, elle a le soutien de l’Iran avec qui elle obtient une frontière directe. La Russie, elle, ne s’y oppose pas vraiment alors que les tensions auraient pu monter très vite, car Moscou n’a toujours pas digéré l’indépendance de son petit satellite appelé à devenir une vraie puissance régionale de par ses richesses en hydrocarbures. Quand Erevan attaque, Bakou n’est pas en mesure de riposter. Elle est bien trop jeune et moins puissante. Aujourd’hui, il en est tout autrement : l’Azerbaïdjan est devenu un pays puissant, intégré, riche, en plein essor, et la ville d’Erevan a de quoi rougir par rapport à ce qu’est devenue la futuriste capitale azerbaïdjanaise.
Comment en est-on arrivé là ? La situation géographique de l’Azerbaïdjan, terre de feu, en fait un pivot régional fondamental indéboulonnable : coincé entre l’Arménie, l’Iran, la Turquie, la Géorgie et la Russie, Bakou a tout intérêt à avoir les reins solides. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’un pays musulman modéré, laïc, ouvert à toutes ses minorités, et si riche puisque touché par la grâce de Dieu avec le pétrole et le gaz, ne pouvait pas uniquement se contenter de tous ces atouts. A la différence d’autres pays où le pétrole coule à flot, Bakou a fait le choix de la diversification de l’économie depuis 20 ans. Et le pire, c’est que ça marche et que c’est un franc succès. Malgré un conflit qui a coûté des milliards aux deux pays depuis 1994, un million d’Azerbaïdjanais expulsés, 6000 soldats morts lors des derniers événements majeurs cette année-là, Bakou meurtri ne s’est pas figé sur le conflit même si pour les Azerbaïdjanais, le Karabakh reste une blessure inguérissable à ce jour. Comme si cette colère, dont les fondements sont appuyés par le droit international s’était transformée en superbe énergie pour se rattraper d’avoir été trop faible à l’époque face à Erevan. Le conflit au Haut-Karabakh est dans l’impasse depuis maintenant près de 25 ans. Alors que le droit international a condamné l’Arménie qui occupe illégalement les terres azerbaïdjanaises, berceau culturel symbolique du pays, aucun pays dans le monde n’a reconnu cette petite République sous contrôle d’Erevan. Les évènements de début avril 2016 et les affrontements entre les soldats des deux pays ont fait craindre un potentiel embrasement. Libération titrait le 3 avril 2016 : « Le Haut-Karabakh, un conflit gelé qui se réchauffe dangereusement ». Ce sont les plus importants affrontements depuis des années. On les appelle là-bas la Guerre des Quatre jours: « Selon les Arméniens, l’Azerbaïdjan a lancé vendredi soir une attaque massive à la frontière du Haut-Karabakh avec chars, artillerie et hélicoptères». Les forces karabakhties ont annoncé avoir abattu deux hélicoptères et un drone et détruit trois tanks, et infligé «des pertes importantes» à l’Azerbaïdjan. Bakou a immédiatement démenti être à l’origine de l’offensive, en assurant que ses forces n’avaient fait que riposter à une attaque du côté arménien à l’aide d’artillerie de gros calibre et lance-grenades. Officiellement, 18 soldats arméniens ont été tués et 35 blessés, et 12 soldats du côté azerbaïdjanais. Il y a eu aussi des morts parmi les civils, dont des enfants, de part et d’autre, mais sans données exactes pour le moment. » En réalité, 21 soldats azéris furent tués. Depuis, un monument en hommage aux victimes azerbaïdjanaises est visible au bord de la route dans le village de Cocuk Mercanli, à quelques centaines de mètres de la frontière iranienne et à quelques kilomètres de la « ligne de contact », comme on appelle là-bas la zone tampon qui sépare l’Azerbaïdjan du territoire du Haut-Karabakh occupé par Erevan.
Voyage aux confins de la ligne de contact : entre Iran, Karabakh occupé et Russie
Il faut quatre longues heures de route vers le sud-ouest depuis la moderne capitale Bakou pour atteindre, ce que les Azerbaïdjanais appellent la « ligne de contact », refusant d’appeler frontière la position géographique stratégique séparant le pays du Haut-Karabakh et ses régions voisines occupées par l’Arménie. Quatre heures de route pour s’éloigner des plateformes offshore de la Caspienne pour s’immerger au cœur du pays en traversant les campagnes pour finir par longer, parfois à seulement 2 kilomètres, la frontière iranienne et rejoindre la ville de Cocuk Mercanli. Le pays est en plein développement et la région en zone de guerre est en malheureusement encore en mal de développement. Ce conflit coût très cher à tous. De nombreux villages sont fantômes depuis la guerre comme celui de Fizouli, d’Agdam et n’ont jamais été reconstruits.
La plus grande ville du Haut Karabakh, Shousha, a été vidée de sa population et remplacée par des Arméniens. Aujourd’hui, le pouvoir est à Stepanakert. Depuis, pour raviver le souvenir, une Mosquée à l’identique de celle de Shousha, a été construite dans le village Cocuk Mercanli, détruit en 1992 par les Arméniens, et qui se bat pour ressusciter sur la ligne de contact. Dans ce village, où le chef de district est en charge de reconstruire un village tout entier, le seul qui soit resté, dans la région, nous sommes face à un projet quasiment pilote. Des dizaines de déplacés ont été relogés dans des maisons flambant neuve, à seulement 500 m parfois de la ligne de front avec les Arméniens. Les commerces sont en train d’ouvrir, et les établissements administratifs s’installent. Nous sommes directement face à la zone occupée par Erevan depuis 2011 mais personne ne s’en soucie. Les militaires veillent et une caserne est située à quelques centaines de mètres. Le président Ilham Aliyev est même venu inaugurer l’école du village qui va des maternelles au lycée. Le maire Kamel Hasanov est fier de ce projet inédit : redonner de l’espoir et redonner de la vie dans cette zone vidée de sa population azerbaïdjanaise depuis vingt ans. Oktay Haziyev lui est un héros : il est le seul avec sa famille à être resté dans le village, seul, sans discontinuer depuis l’occupation arménienne. Le neveu du maire de la ville, Zamine Haziyev, dirige lui la fameuse nouvelle école du village. Quelques dizaines d’enfants de réfugiés ont pu ainsi reprendre le chemin de l’école depuis une année.
On ne peut pas ne pas penser au risque de dérapage incontrôlé futur au vu des évènements de 2016. Mais les soldats azerbaïdjanais l’affirment : ils sont là pour contenir la situation de manière pacifique et protéger les populations. A l’heure actuelle, aucune offensive qui pourrait être meurtrière pour les populations qui reste, n’est envisagée. Bakou souhaite revenir avant tout à la table des négociations pour permettre aux habitants non seulement de retrouver leurs terres, le chemin du développement économique et social et la paix. Si les deux armées se font face, elles sont déterminées mais surtout pour le moment à calmer le jeu.
Quelles solutions au conflit sans fin du Haut-Karabakh?
Les rapports de force ont bien changé depuis 1994. L’Azerbaïdjan est devenu un pays puissant et un pilier de stabilité dans la région. Il est également indépendant énergétiquement alors que l’Arménie ne dispose d’aucune ressources à part son agriculture et sa diaspora.
Les évènements de 2016 ont remis le conflit du Haut-Karabakh sur le devant de la scène internationale quelques jours, puis plus rien. La directrice du Center for Strategic Studies de Bakou, créé en 2007, Gulshan Pachayev, revenait sur les trois scénarios possibles : « Le statu quo, les négociations ou la guerre probable. Il est difficile de dire de quoi sera fait demain. Mais 2016 a marqué un cap. » Il y a toutefois fort à parier que les choses restent en l’état. Les rapports de force étant ce qu’ils sont, l’Azerbaïdjan n’a pas d’autre choix que d’opter pour une relance des négociations d’un point de vue donc pacifique. La Russie est la clé de voûte de cette entreprise et le groupe de Minsk créé par l’OSCE en 1992 y est aussi lié. Le 7 octobre 2017, le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, recevait à Bakou, les coprésidents du Groupe de Minsk de l’OSCE Stéphane Visconti (France), Igor Popov (Russie), Andrew Schofer (Etats-Unis) et le représentant spécial de la Présidence en exercice de l’OSCE, Andrzej Kasprzyk. A l’occasion de cette rencontre, il était à nouveau questions d’accélérer la reprise des pourparlers menés pour le règlement du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan concernant le Haut-Karabagh, la prochaine rencontre de haut niveau. Le problème est que seul Bakou souhaite négocier pour récupérer son dû, ce qui n’est pas le cas et légitime selon Erevan.
Que peut faire la France à ce stade ? Le président français Emmanuel Macron a une carte à jouer, au nom des « relations anciennes entre les deux pays » : reprendre la main sur le groupe de Minsk et tout faire pour remettre le droit international au centre du jeu, donc en faveur de l’Azerbaïdjan. Déjà le sénateur Jean-Marie Bockel le rappelait à son prédécesseur dans une tribune au Huffington Post au moment des accrochages de 2016 : « De l’importance du respect du droit international pour le Haut Karabakh ». ll faut à tout prix éviter l’escalade. Le chercheur Samuel Carcanade spécialiste de la région, dans une interview à l’IRIS le 23 juin 2017 précisait les risques de la montée des tensions : « Les affrontements d’avril 2016 ont effectivement représenté un point d’inflexion dans les rapports de force qui prévalaient depuis la signature du cessez-le-feu en 1994. L’Azerbaïdjan a récupéré environ 2000 hectares de territoires occupés par l’Arménie depuis 1994, cette dernière n’ayant pas su résister aux assauts de son voisin. Côté azerbaïdjanais, la sensation que le rapport de force a évolué en sa faveur risque d’encourager les partisans d’une solution militaire, qui se sont fait plus vocaux cette dernière année. Côté arménien, les dysfonctionnements au sein de l’institution militaire lors de la « guerre de 4 jours », souvent liés à la corruption latente, ont alimenté la colère des citoyens, ce qui réduit la marge de manœuvre du gouvernement de Erevan pour négocier. Les partisans d’une reprise des négociations sont quasiment inaudibles. »
En attendant, chacun se bat à son niveau pour le dialogue et pour la sauvegarde de la culture, de toutes les cultures du pays. Preuve en est : des députés du Karabakh occupé comme Rovzen Rzayev, continuent à croire au dialogue au quotidien entre Azerbaïdjanais et Arméniens en dirigeant une plateforme pacifiste d’échanges entre les deux peuples. Ou enfin, cerise sur le gâteau, le club de football du Karabakh FC connu largement à l’international pour ses prouesses et le symbole de résilience qu’il représente. Fondé en 1951, ce club azerbaïdjanais était basé à Agdam jusqu’à ce que la ville soit détruite par les Arméniens. Plusieurs fois champion de la coupe d’Azerbaïdjan, le club est un formidable trait d’union avec sa région des origines et son berceau émotionnel.
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